Accueil Céréales

Quand les outils numériques sont des aides à la décision en fertilisation azotée

En cultures de céréales, l’engrais azoté joue un rôle capital pour le rendement et la qualité de la récolte. Son excès est cependant néfaste pour le résultat économique, il augmente la pression des maladies et la sensibilité à la verse. Il n’est pas non plus sans conséquences sur l’environnement : pollution des nappes phréatiques et des cours d’eau, émission de gaz à effet de serre.

Temps de lecture : 8 min

Tous les agriculteurs savent depuis toujours qu’il est capital de bien raisonner la fertilisation azotée, et même à l’intérieur de chaque parcelle. Certains outils numériques disponibles permettent d’objectiver le suivi du développement de la culture comme en témoignent aujourd’hui deux agriculteurs qui combinent le suivi au champ avec l’utilisation d’outils digitaux.

Photo_RAUCENT_Bernard

Avec des sols entre des argiles lourdes et des limons battants, quelques pentes et des orientations diverses, les terres de Bernard Raucent à Perwez sont très hétérogènes et demandent un suivi constant dans le développement de la culture du froment. Voici son témoignage.

Quel est votre raisonnement sur la fertilisation azotée en froment ?

« À cause de ces terres très hétérogènes, je surveille de très près les semis de froment et le développement de la culture.

Comme souvent – c’est encore le cas à la sortie de cet hiver – les froments semés à la fin de l’automne tallent peu et risquent de monter assez vite. J’ai donc l’habitude de mettre plus d’azote sur ces froments lors de la première application.

Ensuite, une deuxième application se fait un peu à vue, en fonction de la couleur de la culture, et une troisième application, en fonction des deux premières pour arriver à environ 180 unités en tout. Cela a toujours été une réflexion basée sur l’observation et l’intuition, « à l’ancienne ».

Pourquoi utilisez-vous des outils numériques actuellement ?

« Je voulais depuis longtemps affiner ma réflexion sur la fumure azotée en froment, et j’avais entendu parler de certains logiciels basés sur des images satellites comme Farmstar que j’avais vu à un salon agricole en France.

Et puis, j’ai eu un contact avec le Professeur Defourny de l’UCLouvain qui m’a présenté la plateforme Belcam. Leur logiciel m’a convaincu et je l’utilise maintenant depuis quatre ans, surtout pour la troisième application en suivant l’évolution de l’indice INN.

Selon ce logiciel, l’INN (indice de nutrition azotée) est le rapport entre l’azote réellement absorbé par la culture et la quantité maximale d’azote que la culture pourrait absorber pour obtenir un rendement optimal. Si l’indice INN est supérieur à 1, il ne faut plus mettre d’azote à la dernière feuille car la plante ne l’absorbera pas et il se retrouvera dans les nappes phréatiques ou dans les rivières.

J’évite ainsi de surfertiliser. Belle économie d’intrants pour l’agriculteur surtout si le prix de l’azote s’envole… et on évite de polluer les nappes ou les cours d’eau ce qui est bon pour l’environnement.

Un autre outil de décision intéressant sur Belcam, c’est la possibilité de voir sur le graphique INN où se situe ma parcelle par rapport à la valeur moyenne d’INN des champs de la même culture dans un rayon de 3 km autour de cette parcelle. »

Et au champ ?

« Au semis, grâce à un semoir Kuhn équipé d’un réglage électrique du débit, je peux moduler la dose de semences en augmentant celle-ci dans certaines taches de terres plus lourdes où la levée sera moins bonne.

Actuellement, l’engrais est appliqué sous forme solide avec un épandeur d’engrais conventionnel, ce qui permet de moduler la dose manuellement depuis le tracteur. Je peux ainsi corriger la dose normale à certains endroits, en fonction de l’aspect de la culture ou des observations de l’INN. Donc à ce jour, pas d’outils numériques au champ mais j’ai quelques projets… »

Parlons donc de l’avenir…

« La plateforme Belcam évolue rapidement et permet maintenant de suivre l’hétérogénéité de l’indice INN à l’intérieur de chaque parcelle jusqu’à une précision de pixels de 10 m x 10 m. Ces images précises devraient permettre à l’avenir de créer des cartes de préconisation pour moduler automatiquement la dose d’azote. Je pourrai alors renouveler mon matériel, passer au guidage GPS avec un distributeur d’engrais connecté et ainsi moduler les doses d’engrais pilotées par ces cartes. Ce sera beaucoup plus précis et plus confortable, avec encore plus d’économies d’intrants et moins de pollution à la clé. Je pourrai me faire aider avec mon matériel ou sous-traiter le travail à une entreprise agricole en gardant la même précision. »

Votre bilan à ce jour ? Des conseils pour les lecteurs du Sillon Belge ?

« Mon expérience avec cette plateforme est très positive, très instructive et je veux remercier les partenaires de Belcam de l’avoir développée et de la mettre à disposition gratuitement pour les agriculteurs que cela intéresse. J’encourage tous mes collègues à s’inscrire sur la plateforme et se lancer dans l’aventure. Si certains craignent l’utilisation des outils numériques, on peut surmonter rapidement cette crainte si on y croit. Il faut évoluer et progresser, cela en vaut la peine. »

Photo_PONCELET_Amaury
Amaury Poncelet, à Berloz pratique la modulation de la fertilisation azotée en froment mais aussi en betteraves sucrières, chicorées ou pommes de terre et nous parle de son expérience.

Quelle est votre approche sur la modulation de dose ?

« Je me souviens que la génération de nos parents faisait déjà de la modulation « manuelle ». Ils augmentaient la dose d’engrais dans les taches où la végétation était plus faible, avec souvent des bons résultats à la récolte.

Nous avons un peu oublié cela, mais autour de l’usine Hesbaye Frost nous avons été sensibilisés à l’hétérogénéité de nos parcelles dans les fonds plus humides, ou dans les pentes. La coopérative Apligeer nous a beaucoup fait progresser dans la réflexion sur les outils de précision, notamment en modulation de dose.

En utilisant la console Trimble CFX 750 pour la coupure de sections, j’ai constaté que je pouvais aussi faire de la modulation de dose avec mon pulvérisateur Evrard sur toute la largeur pilotée par des cartes de préconisation chargées sur cette console avec une clé USB.

J’ai essayé et adopté l’application Cropsat mise à disposition gratuitement par Agrometius via le site www.cartedemodulation.be. J’ai apprécié sa grande simplicité pour créer des cartes de préconisation à partir de cartes de végétation à différents moments.

L’art est de choisir la bonne carte de végétation, par exemple la carte en octobre pour voir la masse d’engrais verts après l’épandage de lisier. Ou les cartes juste avant la moisson pour repérer les zones profondes et fertiles et celles plus faibles. Tous ces éléments serviront d’aide à la décision pour la fertilisation pour la culture suivante, en intégrant les prévisions de météo et les cartes de rendement qui sont aussi un élément important quand on en dispose.

Un petit regret c’est que les pixels des cartes de végétation sont toujours orientés Nord-Sud et donc aussi ceux des cartes de préconisation. Cela complique les traitements quand ils ne se sont pas parallèles à ces pixels.

Attention, la carte de préconisation, c’est l’agriculteur qui doit la dessiner ! Il n’y a que lui qui peut apprécier si telle ou telle zone est plus claire et si cela vaut la peine de mettre plus d’engrais à cet endroit. »

L’application Cropsat est mise à disposition gratuitement  par Agrometius via le site  www.cartedemodulation.be .
L’application Cropsat est mise à disposition gratuitement par Agrometius via le site www.cartedemodulation.be .

Quelle est votre stratégie en fertilisation en froment à la sortie de l’hiver ?

« À partir de la bonne carte et des observations de la saison précédente, je module la dose en première fraction, en utilisant une technique de compensation : plus dans les tâches plus faibles et moins dans les taches fortes, pour avoir une végétation plus homogène au printemps.

Ensuite, une dose unique en deuxième fraction, et enfin la modulation en troisième fraction avec, ici, le choix de l’optimisation : une dose renforcée dans les taches plus fortes pour optimiser le rendement. »

Avez-vous expérimenté la modulation de doses avec d’autres intrants ?

« J’ai fait du chaulage avec mon entrepreneur à partir de cartes de sol scannées avec l’outil Veris et aussi essayé les doses de semis modulées en légumes avec Apligeer.

Avec la coopérative, j’ai participé à des essais pour appliquer du fongicide en haricots sur base d’une carte de semis faite par eux.

Je me suis aussi intéressé à la modulation du désherbage à partir d’une carte des ronds de chardons faite avec un drone, sachant qu’ils sont toujours au même endroit. C’est une belle technique à tester sur betteraves et les ronds de renouée amphibie. »

Quel est votre bilan aujourd’hui et comment voyez-vous l’avenir ?

« Aujourd’hui, je suis heureux de mon expérience avec le logiciel d’Agrometius, comme je l’ai déjà dit simple et gratuit, car les outils numériques ne doivent pas compliquer le travail en saison où il faut avancer quand on est sur le tracteur.

Je me méfie toujours de certaines offres au sujet de cartes de préconisation « clé sur porte » qui ont souvent des tarifs prohibitifs. Les outils numériques ne sont pas des jouets juste pour la technologie et les logiciels. La réflexion doit rester d’abord agronomique et la carte est à faire soi-même.

À long terme les robots pourraient m’intéresser en désherbage ou en travail du sol. Ce sera peut-être un passage obligé à terme… mais il faut craindre que les robots ouvrent la porte à l’agriculture industrielle.

Moi je reste un fervent convaincu de l’agriculture familiale avec des outils modernes de gestion, en espérant que la technologie n’en découragera par certains qui se sentiraient « largués ».

La génération suivante pourra sans doute nous faire progresser et rester « dans le coup ». »

Un conseil pour les lecteurs qui voudraient se lancer dans la modulation de dose ?

« Prendre le temps pour observer ses terres, découvrir l’hétérogénéité et penser d’abord à l’agronomie et ensuite à la technologie. Le temps utilisé dans cette réflexion est souvent le meilleur investissement.

Il ne faut pas se reposer sur ses acquis et sortir de sa zone de confort pour progresser. »

Maurice Malpas, pour WalDigiFarm

A lire aussi en Céréales

Protection fongicide des froment: faire le bilan des risques sanitaires encourus par la culture

Céréales Les froments sont susceptibles d’être attaqués par des maladies cryptogamiques au niveau des racines (piétin-échaudage), des tiges (piétin-verse), des feuilles (rouilles, septoriose, oïdium) et des épis (septoriose, fusarioses). Elles peuvent altérer le rendement, soit de manière directe par la destruction des organes, soit de manière indirecte comme le piétin-verse qui affaiblit les tiges et favorise la verse. Certaines maladies peuvent également déprécier la qualité sanitaire de la récolte, comme les fusarioses qui produisent des mycotoxines pouvant se retrouver sur les grains.
Voir plus d'articles