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Comment devient-on «orfèvre» de la miniature agricole?

À l’approche d’Agribex, nous vous proposons une plongée dans un univers à part entière, celui de la production artisanale et de la collection de miniatures agricoles à l’échelle 1/32, en partant à la rencontre de trois passionnés bien connus dans le domaine : les frères François et Gérard Dereume, ainsi que Philippe Foxhal.

Temps de lecture : 9 min

Qui, enfant, n’a aucun souvenir de lui jouant avec un tracteur miniature ? Peu de monde sans doute… Poussé par de petits doigts agiles, et souvent accompagné de sons sortis de la bouche simulant le bruit du moteur, ce jouet a souvent cultivé l’imagination de son jeune propriétaire, l’embarquant dans des rêves lointains au travers desquels il se projetait chauffeur ou agriculteur. Si, pour beaucoup, les choses se sont arrêtées là, ce tracteur en plastique ou en métal étant relégué au statut d’une madeleine de Proust, pour d’autres les miniatures agricoles se sont mues en une véritable passion, faisant passer la réplique de jouet à objet de collection.

Des passionnés aux racines bien ancrées dans le monde agricole

François et Gérard, hennuyers de 35 ans, sont jumeaux. Avec un papa entrepreneur de travaux agricoles, ils sont dès leur plus jeune âge immergés dans le monde du machinisme, et cela du matin au soir. Sans oublier leur grand-père maternel qui travaillait dans un dépôt de grains, et les souvenirs émanant de cette époque.

« En saison, nous passions des heures entières assis dans ce dépôt à contempler et commenter les ensembles qui évoluaient devant nous, tantôt pour accéder à la bascule, tantôt pour déverser les précieuses céréales dans les silos. Nous en avons vu passer des tracteurs et des bennes… », se remémore François.

Les deux frères sont des miniaturistes de talent, reconnus dans le milieu pour la qualité et la finition de leurs réalisations. Ils sont à la tête d’une impressionnante collection, dont ils ont produit eux-mêmes la majorité des modèles et des plus belles pièces.

Philippe, 50 ans, réside quant à lui en province de Liège. Tout aussi talentueux, il s’est équipé et entouré. Il a fait de la miniature agricole son métier. Véritable artisan, il confectionne des miniatures au réalisme poussé en petites séries qu’il commercialise au gré des foires et expositions spécialisées en Belgique et aux Pays-Bas mais aussi, et surtout, en France.

Correspondre à la réalité de nos campagnes

Leur passion a débuté jeune : « Comme nombre de gamins, nous avons usé les genoux de nos pantalons sur le carrelage, à quatre pattes, en poussant ces jouets, embarqués par les fictions qui trottaient dans nos têtes », commente Gérard.

« Nous avions finalement à l’époque assez peu de modèles à notre disposition ; le choix se résumait globalement aux miniatures des marques Siku et Britains. En grandissant, notre imagination nous a poussés à les modifier pour leur donner davantage de réalisme. En outre, les machines agricoles étant souvent liées à un terroir, et donc à une région, soit pour des raisons purement agronomiques, soit en fonction de leur lieu de fabrication et de leur réseau de distribution, nous ne nous identifiions pas complètement à ces modèles vendus dans le commerce. »

À titre d’exemple, s’ils souhaitaient une benne, ils devaient se tourner vers les répliques des bennes allemandes Krampe ou Claas, de Siku, ou celle de la marque anglaise Marston, proposée par Britains. « Ces marques ne nous évoquaient pas grand-chose. Nous, ce qui nous parlait, c’étaient les bennes que nous voyions passer devant notre porte, des Vigneron, des OVA, des Cavero, des Brimont, des La Campagne… mais il n’existait aucune miniature les représentant ».

Et Philippe d’ajouter : « De plus, quand un modèle de tracteur sortait dans le commerce, il pouvait ne pas correspondre tout à fait à nos souhaits : il s’agissait peut-être d’un modèle à six cylindres alors que nous aurions préféré la version à quatre cylindres, ou vice-versa, car elle nous rattachait au tracteur d’un voisin, par exemple. Le modèle commercial devenait alors une base à transformer pour se conformer le plus possible au tracteur dudit voisin ».

Au début, les transformations étaient simples et basiques, avec des changements d’autocollants ou de pneus, puis se sont complexifiées au fur et à mesure que les passionnés acquéraient de la compétence.

Une inspiration venue de l’histoire familiale

Pour Gérard et François, le véritable déclencheur de leur talent de création fut le chantier d’arrachage de betteraves de leur papa. « C’était un chantier Gilles, comme il en existait de nombreux dans la région. Nous le connaissions par cœur et en avons rêvé longtemps à l’échelle 1/32 mais il n’en existait aucun en miniature dans le commerce. Après un temps de réflexion, nous nous sommes lancés comme challenge de le construire par nos propres moyens. »

Ils sont alors partis à l’assaut de la machine de leur papa pour la mesurer sous toutes ses coutures. S’en suivirent d’innombrables heures à dessiner, découper, coller, peindre des pièces en PVC ou laiton pour parvenir à leur objectif.

Les deux frères prennent plaisir à travailler ensemble durant ces nombreuses heures de création et de conception. Leur passion était née et ils n’étaient pas au bout de leurs projets, comme ils en témoignent : « Une fois l’effeuilleuse et l’arracheuse finalisées, il nous fallait un tracteur adapté avec jumelages en roues fines et relevage avant, puis une chargeuse, puis une benne… ». Le train était lancé.

Gérard et François affectionnent les chantiers d’arrachage de betteraves dont  ils ont reproduit plusieurs exemplaires, comme celui-ci sur un tracteur Fiat F130.
Gérard et François affectionnent les chantiers d’arrachage de betteraves dont ils ont reproduit plusieurs exemplaires, comme celui-ci sur un tracteur Fiat F130.

De la passion, à la profession

De son côté, Philippe connaît des débuts somme toute semblables. « Je réalisais des modifications de modèles du commerce issus de ma collection, seul dans mon coin. Mes inspirations étaient diverses : il pouvait s’agir de matériels présents dans la ferme de mon grand-père ou observés dans mes métiers de mécanicien agricole puis de chauffeur en entreprise. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer quelques personnes impliquées dans le monde de la miniature, comme Roger Therer, de nouer avec elles des liens forts. Ce sont des personnes avec qui j’ai pu échanger et participer à des bourses et autres expositions. »

Le bouche-à-oreille a rapidement fonctionné et Philippe a commencé à recevoir des demandes de modifications sur tel ou tel modèle. Parallèlement, il découvrit le moulage de la résine, qui lui permit de concevoir et produire lui-même des pièces. Avec cette technique, la confection du prototype requiert bien entendu précision et minutie mais, une fois construit, son moulage permet de le reproduire en grande quantité.

« Le moulage de la résine a été pour moi une réelle révélation. J’ai alors lancé en 2008 ma société de production artisanale de miniatures, baptisée MiniAgriPassion (MAP), dans un premier temps en activité complémentaire tout en conservant mon emploi de chauffeur dans le secteur du terrassement. J’ai finalement quitté ce job en novembre 2010 pour me consacrer exclusivement à la miniature agricole. »

Pendant ce temps, il a pu se faire connaître davantage et affiner ses techniques de fabrication. C’est ainsi que, en 2013, il a abandonné le moulage de la résine et est passé à la 3D, d’abord avec des fraiseuses 3D, puis des imprimantes 3D, procurant une précision sans pareille aux pièces produites.

Le même réalisme caractérise les miniatures MiniAgriPassion.
Le même réalisme caractérise les miniatures MiniAgriPassion.

« Je me suis axé sur les modèles d’expos, autrement dit de petites séries commandées par des organisateurs d’expositions qui les vendent de manière exclusive lors de leur événement. Je travaille alors en collaboration avec les constructeurs qui donnent leur accord et valident le prototype. Ce fut notamment le cas ces dernières années avec des constructeurs tels que Gilles, Bonnel, Lenormand, Gyrax… ».

Et le moins que l’on puisse écrire est que ces ventes sur expos cartonnent, comme en témoigne Philippe : « En effet, lors de la dernière exposition à laquelle j’ai participé en Bretagne, les 100 pièces produites par MAP, une réplique d’un matériel Gyrax en l’occurrence, se sont vendues en 53 minutes… Je n’avais jamais vu cela auparavant ! ».

Partager ses trucs et astuces, en expos ou sur internet

Les expos… Ce sont des événements incontournables pour qui s’intéresse aux miniatures agricoles. Tous les protagonistes s’y retrouvent, comme en atteste François : « Gérard et moi nous sommes rendus à notre première exposition en 2003, après avoir repéré l’annonce de sa tenue dans les colonnes du Sillon Belge ». C’était à Landen, la seule expo organisée alors en Belgique.

« Cette visite nous a aussi influencés car on pouvait y contempler des créations d’autres amateurs belges, qui représentaient des matériels nationaux, plus identifiables. Je me rappelle m’être longuement arrêté devant des répliques de matériels Dewa ou Delvano, par exemple. Nous avons noué des contacts, discuté avec des exposants, collecté des trucs et astuces qui nous ont bien servis par la suite. L’année suivante, nous y sommes retournés mais en tant qu’exposants cette fois. »

L’expérience en fut d’autant plus intéressante. Dans les années qui suivirent, ces événements se sont multipliés, à Arlon, Meux, Héron… sans oublier les expos situées dans les pays voisins dont les deux plus importantes étaient à Zwolle, aux Pays-Bas, et à Chartres, en France. « En 2009, nous exposions ainsi des modèles de notre collection dans pas moins de 12 expositions ».

Philippe a reproduit son propre tracteur Fiat 850  ainsi que la herse canadienne Albert d’un de ses amis.
Philippe a reproduit son propre tracteur Fiat 850 ainsi que la herse canadienne Albert d’un de ses amis.

Philippe met aussi en avant la percée d’internet et des réseaux sociaux. « Au début des années 2000, beaucoup d’amateurs de miniatures ont lancé leur propre blog et se sont retrouvés sur un célèbre forum français spécialisé. Chacun y présentait ses créations, y livrait ses trucs et astuces, y posait ses questions, et cela dans une ambiance bienveillante grâce au travail efficace des modérateurs », détaille-t-il.

Ceci permettait littéralement à chacun de sortir de ses murs et de présenter son travail au grand jour à une communauté avertie. Tout cela participait à une émulation constructive et favorable à la création et à l’évolution des techniques de chacun.« L’évolution de ces moyens de communication s’est matérialisée avec une vitesse phénoménale : à l’époque, on n’y accédait que le soir, après sa journée de travail ; on se posait alors devant son PC, on regardait le travail des autres, on laissait quelques commentaires sur le projet de l’un ou l’autre miniaturiste et on lisait ceux qui avaient été postés au sujet de notre projet en cours. » En journée, presque rien ne s’y passait…

« Aujourd’hui, au contraire, internet est présent partout et tout le temps sur les smartphones. Si je poste quelque chose à 9h, 11h ou 13h, je suis certain d’avoir déjà des retours dans les minutes qui suivent. C’est très bien en termes de visibilité, notamment pour faire connaître une nouveauté, mais cela a aussi de moins bons côtés. Tout est connu de tout le monde presque instantanément ; j’ai ainsi entendu à plusieurs reprises des visiteurs d’expositions se plaindre qu’il n’y avait plus aucune surprise à découvrir sur place, celles-ci ayant déjà été annoncées sur les réseaux sociaux au préalable. Et puis, il faut malheureusement déplorer la présence sur ces réseaux de certains individus qui n’y viennent que pour dénigrer le travail des autres. Il convient de rester attentif à ce qu’il s’y dit… »

N.H.

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