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Pension et bail à ferme: conservez-vous votre droit de préemption?

Il était rappelé, à l’occasion de la parution précédente, que le preneur pensionné pouvait, dans certains cas, voir écornée la protection qui lui est offerte par la loi sur le bail à ferme. Et de donner et commenter, pour premier exemple, l’article 8bis de loi : le congé au preneur pensionné. Le second exemple de ce « désamour » à l’égard du preneur pensionné est à chercher dans le paragraphe de la loi relatif au droit de préemption.

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Ce paragraphe couvre les articles 47 à 55 de la loi, sous l’appellation « De l’aliénation du bien loué et du droit de préemption du preneur » . Pour rappel, le droit de préemption est la priorité d’achat dont dispose le preneur en cas de vente du bien loué, à des conditions égales à celles offertes par un tiers acquéreur. La loi pose, en son article 47, le principe du droit de préemption en matière de bail ferme.

À toute règle, des exceptions

Cependant, comme à toute règle digne de ce nom, le principe connaît des exceptions. Ces exceptions, limitativement énumérées, sont visées à l’article 52 de la loi sur le bail à ferme. Cet article, reproduit de façon non exhaustive, est le suivant :

Le preneur ne jouit pas du droit de préemption :

– 1º (…)

– 1º /1 si le preneur a atteint l’âge légal de la pension, bénéficie d’une pension de retraite ou de survie et ne peut indiquer aucune des personnes mentionnées à l’article 34 comme pouvant poursuivre son exploitation, la charge de la preuve est réalisée conformément à l’article 57bis.

Conditions cumulatives

Ainsi, et pour être clair, le preneur ne disposera pas du droit de préemption légal s’il (1) a atteint l’âge légal de la pension, (2) bénéficie d’une pension de retraite ou de survie et (3) n’est pas en mesure d’indiquer, parmi les parents visés à l’article 34 de la loi, une ou des personne(s) susceptible(s) de poursuivre son exploitation agricole. Ces conditions sont cumulatives en ce sens que l’exception au droit de préemption n’existera que si les 3 conditions sont réunies. Quelques commentaires s’imposent quant à chacune des conditions.

L’âge légal de la pension est, comme l’indique l’expression, fixé par la législation sociale. Il est actuellement fixé à 65 ans pour passer à 66 ans en 2025 et 67 ans dès 2030, ceci pour les hommes ou pour les femmes. C’est donc une notion qui ne dépend pas du bon vouloir du preneur ni du bailleur pour être déterminée par une législation en vigueur. En cela, on peut dire que l’âge légal de la pension est purement objectif et qu’il n’est pas difficile de savoir si le preneur a atteint ledit âge ou pas…

Le bénéfice d’une pension de retraite ou de survie n’est pas, lui, un critère aussi objectif. Il présente une certaine subjectivité en ce sens que le preneur qui aurait atteint l’âge légal de la pension n’est pas pour autant contraint de solliciter la perception d’une pension de retraite ou de survie. S’il ne la veut pas, il ne l’aura pas et, par voie de conséquence, il ne verra pas son droit de préemption disparaître.

Comment savoir, du côté du bailleur, en pareilles conditions, si le preneur bénéficie ou pas de la pension. En interrogeant le preneur, pardi… Mais qu’en sera-t-il si le preneur n’entend pas répondre ? De deux choses l’une. Soit le preneur répond, tenant ainsi le bailleur au fait de la question (on peut supposer que le preneur répondra honnêtement, sous peine de remise en cause possible de l’exercice éventuel de son droit de préemption puisqu’il ne serait pas dans les conditions pour préempter). Soit le preneur ne répond, ce qui cause problème au bailleur.

Problème, dites-vous ? Pas tant que ça, en réalité, puisque la loi présume que, lorsque le preneur, interrogé dans les formes légales par le bailleur (recommandé notamment) ne répond pas à la question dans un délai de 2 mois, il bénéficie d’une pension de retraite ou de survie. L’article 57 de la loi est en effet rédigé comme suit :

À partir du moment où le preneur a atteint l’âge légal de la pension, le bailleur ou l’officier instrumentant peut interroger celui-ci afin de déterminer s’il bénéficie d’une pension de retraite ou de survie, dans les formes prévues à l’article 57. Si le preneur n’apporte pas, dans les deux mois de la demande, la preuve qu’il est toujours en activité et qu’il ne perçoit pas une pension de retraite ou de survie ou s’il ne précise pas, le cas échéant, une personne mentionnée à l’article 34 comme pouvant poursuivre son exploitation, celui-ci est alors réputé bénéficier d’une pension de retraite ou de survie.

Quant aux parents visés à l’article 34 pour lui succéder à l’exploitation agricole, ils sont, à l’égard du preneur, les suivants : ses descendants ou enfants adoptifs ou ceux de son conjoint ou de son cohabitant légal ou les conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs ou les cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs. Cette condition n’est pas sans poser de problèmes en pratique. En effet, nombreux sont les preneurs qui ont un parent parmi cette liste sans que ce parent n’envisage forcément la reprise de l’exploitation agricole. Autrement, il semble qu’il ne suffit pas de dire «  j’ai un fils ou une fille » pour éviter d’être soumis à l’exception au droit de préemption. Encore faudra-t-il, dans un souci d’équilibre dans les droits des parties au contrat, établir que ce fils ou cette fille sont raisonnablement susceptibles de poursuivre l’exploitation du preneur âgé… Certes, la loi ne le prévoit pas mais cela semble aller de soi…

Pour le reste, la matière étant plus que technique, il est renvoyé au texte légal : ne jamais oublier qu’il est préférable de se faire conseiller que d’agir à l’aveugle ou dans l’incertitude…

Il sera vu, lors d’une prochaine parution, une autre disposition légale touchant, de près ou de loin, l’âge d’une des parties au contrat de bail à ferme.

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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