Accueil Economie

L’architecture verte de la Pac remise en cause

De révisions en flexibilités et en allégements, c’est une petite révolution qu’amorce la commission pour répondre au mouvement de colère des agriculteurs européens. En 2025, ces derniers pourraient disposer d’un cadre réglementaire totalement révisé et surtout débarrassé des nombreuses contraintes environnementales que la commission avait tenté de mettre en place depuis cinq ans.

Temps de lecture : 5 min

La suppression de l’obligation de jachères sur 4 % des terres arables a fait les frais du courroux du secteur agricole.

Les jachères au tapis

Cette mesure emblématique de la nouvelle Pac n’aura finalement jamais réellement été appliquée puisque les États membres pouvaient y déroger depuis deux ans. Après avoir longuement traîné les pieds, l’Exécutif européen avait fini par accorder des flexibilités pour l’année 2024.

Mieux, en 2025, la commission a décidé de supprimer purement et simplement cette obligation de la conditionnalité de la Pac. Elle propose de rouvrir le règlement de la Pac entré en vigueur il y a seulement un peu plus d’un an, pour notamment revoir cette BCAE 8 qui n’imposera plus que le maintien des éléments non productifs en place pour améliorer la biodiversité à la ferme.

En contrepartie, les États membres seront tenus de proposer un éco-régime pour soutenir (au-delà du paiement de base) les agriculteurs qui maintiendraient une partie de leurs terres arables en jachère ou pour créer de nouveaux éléments paysagers non productifs.

Assouplissement sur la rotation des cultures

Mais ce sont en réalité la plupart des éléments de l’architecture verte qui avaient été âprement discutés lors des négociations sur la réforme qui sont remis en cause : rotation des cultures, conditionnalité renforcée imposée à l’ensemble des exploitations, lien entre la Pac et la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

Les États membres pourront dorénavant assouplir la BCAE 7, exigeant la rotation des cultures, en permettant d’y répondre par une simple diversification des cultures. Les fermes de moins de 30 ha devront produire au moins deux cultures différentes dont la principale ne couvre pas plus de 75 % des terres.

Au-delà de 30 ha, au moins trois cultures différentes sont imposées dont la principale ne couvre pas plus de 75 % des terres et les deux principales réunies pas plus de 95 %.

Et comme pour les jachères, des formes plus ambitieuses de rotation et de diversification des cultures devraient continuer à être récompensées par le biais d’éco-régimes, notamment en incluant des protéagineux dans la rotation, de manière à améliorer la qualité des sols et la résilience des cultures.

Dérogations aux BCAE5, 6 et 7

Autre flexibilité introduite : les détails de l’application de la BCAE 6, concernant la couverture des sols pendant les périodes sensibles, seront laissés entre les mains des États membres pour les rendre plus compatibles avec les réalités agricoles et notamment la variabilité météorologique.

L’application de cette norme a entraîné des rigidités administratives et une incertitude considérable pour les agriculteurs, et la commission en a bien pris conscience.

Les États membres seront également autorisés à prévoir des dérogations spécifiques aux BCAE 5 (travail du sol), 6 et 7 dans les situations où il existe un risque que les exigences iraient à l’encontre de leurs objectifs, par exemple en raison de situations agronomiques pour les cultures sur des types de sols et des conditions pédoclimatiques spécifiques.

Les petites exploitations de moins 10 ha seront, elles, totalement exemptées des contrôles de la conditionnalité et des sanctions qui vont avec. « Étant donné que ces petits agriculteurs représentent 65 % des bénéficiaires de la Pac mais ne représentent qu’environ 10 % de la superficie agricole totale, cela simplifierait le travail de nombreux agriculteurs sans entraver de manière significative les exigences de conditionnalité », veut croire la commission dans une de ses communications.

L’Exécutif propose par ailleurs de supprimer les mentions dans les articles 120 et 159 du règlement sur les plans stratégiques qui lient la Pac aux réglementations issues de la stratégie « De la fourche à la fourchette ».

Au final, il faut savoir que très peu des règlements issus du Pacte Vert ont, de toute façon, été adoptés, soit parce qu’ils ont été abandonnés, comme le règlement pesticides, soit parce qu’ils ont été reportés sine die. C’est le cas de la révision de la réglementation sur le bien-être animal.

Quant à la directive sur les émissions industrielles (IED) et la loi sur la restauration de la nature, elles n’entreront en vigueur qu’après 2027.

Modification des plans stratégiques nationaux

Enfin, les États membres seront autorisés à modifier deux fois par an, contre une seule fois actuellement, leurs plans stratégiques nationaux. une évolution nécessaire pour faire face plus rapidement aux situations changeantes des agriculteurs, y compris celles causées par des événements météorologiques défavorables.

L’ensemble de ce projet de révision devra être examiné par le conseil et le parlement avant de faire ensuite l’objet de négociations en trilogue en vue de conclure un accord entre les deux institutions pour entrée en vigueur espérée début 2025.

Rappelons que la commission a déjà adopté le 12 mars dernier un acte délégué, lequel doit encore être validé par les colégislateurs, afin d’assouplir les exigences de la conditionnalité en ce qui concerne le maintien des prairies permanentes (BCAE1).

Clarification de la notion de « force majeure » et de «circonstances exceptionnelles»

Ce texte offre la possibilité aux États membres d’ajuster, une fois au cours de la période de 2023-2027, le ratio de référence de 2018 concernant les prairies permanentes et de déroger à l’obligation d’imposer la reconversion de surfaces en prairies permanentes à des exploitations dans les cas où la diminution du ratio en deçà du seuil de 5 % n’est pas le résultat de la conversion de surfaces en terres arables ou cultures permanentes. Il s’appliquera rétroactivement à partir du 1erjanvier 2024.

Enfin, la commission finalise une clarification juridique de la notion de « force majeure » et de « circonstances exceptionnelles » qui permet aux agriculteurs ne pouvant pas remplir toutes les exigences de la Pac en raison d’événements exceptionnels échappant à leur contrôle, de ne pas se voir imposer de sanctions.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles