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Cessions de bail: des mécanismes juridiques encadrés par la loi

S’il est un principe important qui s’apparente à un fil rouge dans la loi sur le bail à ferme, c’est bien celui de l’exploitation personnelle.

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L a loi confie au preneur d’importants droits, droits qui lui garantissent une stabilité d’occupation, mais, en retour, elle exige de lui qu’il garantisse au bailleur une exploitation personnelle. Exploiter personnellement signifie que le preneur cultive lui-même les biens loués, pour son compte, en assumant les risques et en en percevant les bénéfices d’exploitation…

Trois types de cessions

Les seules entorses à ce principe sont rigoureusement encadrées par la loi : citons rapidement le contrat de culture annuel, l’échange de culture… Pour autant que les balises de ces entorses soient respectées, le bailleur n’aura rien à reprocher au preneur bien que, in fine, à travers elles, ce n’est pas le preneur lui-même qui cultive.

Ce qui intéresse ces quelques lignes concerne davantage les cessions de bail (les sous-locations seront abordées en une prochaine publication). Ces mécanismes juridiques, à distinguer l’un de l’autre, sont prévus et encadrés à partir des articles 30 à 37 de la loi sur le bail à ferme. Donnons en un bref aperçu.

La cession de bail est un mécanisme juridique par lequel le preneur (le cédant) cède son bail à un « nouveau » preneur (le cessionnaire) : autrement dit, le cédant donne ou transfère son statut de locataire au cessionnaire. Il n’est pas question de deux baux mais d’un bail qui passe du cédant au cessionnaire. Pour faire simple, disons qu’il existe trois types de cession : la cession entre tiers (étrangers, non apparentés), la cession simple / ordinaire familiale et la cession privilégiée (qui est toujours familiale) :

1. La cession entre tiers consiste à céder son bail à une personne non apparentée : c’est pour cela qu’on parle de tiers ou d’étranger (=tiers ou étranger à la famille). Ce type de cession est rigoureusement proscrit par la loi, et ce dans la mesure où il conduit à une absence d’exploitation personnelle. Ce qui est proscrit ne l’est cependant plus lorsque le bailleur a donné, dit la loi, son accord écrit et préalable à la cession. Il semble toutefois, en pratique, que l’exigence de l’écrit est surtout une question de preuve à se réserver au cas où, ultérieurement, le bailleur ayant donné son accord verbal reviendrait à le renier : «  Verba volant, scripta manent  », « Les paroles s’envolent, les écrits restent ».

2. La cession simple/ordinaire familiale consiste à céder son bail à une personne apparentée : c’est pour cela qu’on utilise l’expression « familiale ». Pour exemple : prenant ma retraite, je cède mon bail à mon fils. Le cessionnaire doit être agriculteur et la cession doit concerner la totalité du bail. Contrairement à la cession entre tiers, elle ne requiert pas l’autorisation préalable et écrite du bailleur : elle est de droit. La loi précise toutefois, depuis le 1er janvier 2020, que le preneur, à peine de nullité de la cession, en informe le bailleur au plus tard dans les trois mois de la cession . Les bénéficiaires éligibles à la cession familiale sont les descendants ou enfants adoptifs du preneur ou ceux du conjoint ou du cohabitant légal du preneur ou les conjoints/cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs. Il faut bien comprendre que la cession simple familiale implique, au profit du cessionnaire, la continuité du bail là où il était au moment de la cession. Par exemple, un bail de 9 ans né en 2020 est cédé en 2024. Le cessionnaire, suite à la cession, sera titulaire d’un bail se trouvant à la 4e année de la première période de 9 ans en cours.

3. À côté de la cession ordinaire familiale, existe la cession privilégiée qui est aussi familiale et requiert, elle aussi, une notification. La cession privilégiée doit, aussi, concerner la totalité du bail et doit, dit la loi, être notifiée au bailleur dans les trois mois de l’entrée en jouissance du cessionnaire.

L’entrée en jouissance du preneur est le jour où le cessionnaire prend possession des lieux loués suite à la cession. Généralement, la cession s’opère à travers une convention de remise/reprise de ferme, et cette convention renseigne souvent une date d’entrée en jouissance (qui n’est pas forcément celle de la date de signature de la convention).

C’est la date d’entrée en jouissance du cessionnaire qui fait courir le délai de 3 mois légalement prévu. Le délai légal est respecté lorsque le bailleur a reçu la lettre de cession dans les 3 mois de l’entrée en jouissance.

Un exemple, pour clarifier les choses. A prend sa pension fin 2023. Le 20 décembre 2023, il signe, avec son fils B, une convention de reprise de ferme par laquelle B reprend l’exploitation de son papa A. L’exploitation remise comprend notamment le droit au bail de quelques hectares de terre appartenant au bailleur C. La convention indique que la reprise de ferme sera effective à dater du 1er janvier 2024 si bien que l’entrée en jouissance de B sur les terres de C peut raisonnablement être considérée comme devant être fixée au 1er janvier 2024. C’est donc à dater du 1er janvier 2024 que devra être calculé le délai de 3 mois laissé à A pour la notification de cession privilégiée à C.

La loi précise que la notification doit renseigner les nom, prénom et adresse du cessionnaire (lorsqu’il y a plusieurs bailleurs, il convient de notifier à chaque bailleur personnellement).

Les bénéficiaires d’une cession privilégiée sont les mêmes que les bénéficiaires d’une cession familiale ordinaire : à l’égard du cédant, ce sont les descendants ou enfants adoptifs du preneur ou ceux du conjoint ou du cohabitant légal du preneur ou les conjoints/cohabitants légaux desdits descendants ou enfants adoptifs peuvent être bénéficiaire d’une cession privilégiée. Il est évident que le cessionnaire doit être agriculteur et doit répondre aux conditions d’aptitudes visées à l’article 35 de la loi (diplôme, expérience, …).

La cession privilégiée se distingue de la cession familiale ordinaire de par ses effets. Le premier effet, non négligeable, est que le cessionnaire du bail se verra allouer le bénéfice d’une première et nouvelle période d’occupation de 9 ans prenant cours, dit la loi, « au jour anniversaire de l’entrée en jouissance du cédant qui suit la notification ».

Cette formule est complexe et doit être comprise de la façon suivante. Dans notre exemple, imaginons que, à l’entame de sa carrière, A était entré en jouissance des terres de C le 1er octobre 1984. Imaginons encore que c’est le 15 février 2024 que A a notifié à C la cession privilégiée au profit de B. La 1ère et nouvelle période d’occupation dont bénéficiera B par suite de la cession privilégiée notifiée par A à B prendra cours le 1er octobre 2024. Pourquoi ? Parce que le 1er octobre 2024 est le jour anniversaire de l’entrée en jouissance de A (1er octobre 1984) qui suit la notification du 15 février 2024. Il est essentiel de pouvoir déterminer la date de prise de cours de la nouvelle période du cessionnaire, notamment, du point de vue du bailleur, pour connaître l’échéance de cette période et pouvoir ainsi déterminer le moment auquel il pourra, par exemple, envoyer un congé pour le motif d’exploitation personnelle (2 à 4 années avant la fin de la 1ère période d’occupation).

Le second effet qui distingue la cession privilégiée de la cession ordinaire familiale est que, par suite d’une cession privilégiée, le cédant est déchargé de toutes les obligations généralement quelconques dérivant du bail cédé alors que, en matière de cession ordinaire familiale, le cédant reste solidairement tenu de toutes ces obligations.

Par exemple, imaginons que B ne paie pas les fermages à C. Si B a bénéficié d’une cession ordinaire familiale et qu’il ne paie pas les fermages, C aura A comme garantie (c’est la solidarité légale). Si B a bénéficié d’une cession privilégiée du bail et qu’il ne paie pas les fermages, C ne pourra se retourner vers A puisqu’il est déchargé de toutes les obligations du bail cédé…

 

Deux types de contestation de la cession privilégiée

On comprend donc que la cession privilégiée donne, aux preneurs à ferme, des droits très importants. Le bailleur peut-il s’y opposer ?

Oui, mais dans une mesure limitée. À proprement parler, on peut évoquer 2 types de contestation de la cession privilégiée ou de ses effets. Le premier type de contestation est ce qu’on appelle « l’opposition légale à cession privilégiée ». Cette opposition est légalement organisée en ce sens que la loi prévoit un délai de 3 mois pour formuler l’opposition et limite, en son article 37, les raisons pour lesquelles un bailleur peut s’opposer à une cession privilégiée : absence de matériel utile à l’exploitation chez le cessionnaire, absence d’aptitudes/capacités du cessionnaire, congé envoyé par le bailleur avant la notification de cession privilégiée, etc...

Depuis le 1er janvier 2020, lorsque le bailleur triomphe dans son « opposition légale à cession privilégiée  » , la loi prévoit que la cession est dite « nulle et non avenue » : la jurisprudence a du mal à s’adapter à cette sanction nouvelle, l’ancienne, plus simple à appréhender, consistant simplement à transformer la cession privilégiée en cession ordinaire familiale…

Le second type de contestation concerne la régularité de la cession. Par exemple, A a notifié à C la cession privilégiée le 15 avril 2024 alors qu’il ne pouvait ce faire que jusque fin mars 2023. Il s’agit ici du non-respect du délai. La loi n’organise pas expressis verbis la contestation de C mais elle est évidemment possible et justifiable.

Il est conseillé de respecter le délai de 3 mois pour formuler pareille contestation. N’oublions pas que toute action en matière de bail à ferme doit être précédée d’un appel en conciliation devant le juge de paix territorialement compétent…

Chacun aura compris que la matière est complexe : avant de faire quoi que ce soit et pour éviter toute difficulté, il est toujours conseillé de se faire assister par un professionnel…

Henry Van Malleghem,

avocat au Barreau de Tournai

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